Les spécialistes de la finance durable critiquent les propositions de refonte du label ISR

Par Laurence Boisseau – Les Echos - Publié le 5 août 2022 à 07:00 - Mis à jour le 5 août 2022 à 08:09

Les acteurs de la finance durable attendaient beaucoup de la réforme du label ISR, ce label qui certifie les fonds d'investissement socialement responsables. Or, pour l'instant, les orientations formulées fin juillet par le comité qui chapeaute cette certification d'Etat ne semblent pas vraiment répondre à leurs attentes.

Si les propositions faites à Bercy d'exclure des fonds ISR certains secteurs d'activités controversés car trop polluants, comme le charbon et les énergies fossiles non conventionnelles, représentent une avancée ( dans leurs premières déclarations, les membres du comité y semblaient opposés ), elles ne vont pas assez loin aux yeux de certains.

« Cela ne suffira pas à faire bouger les lignes », explique Olivia Blanchard, présidente des AFR (acteurs de la finance responsable). L'ONG Reclaim Finance estime qu'après neuf mois de réflexion, « l'éléphant a accouché d'une souris ».

« Le greenwashing risque de perdurer »

Un point de vue que partagent certains investisseurs. « Soyons clairs, pour ceux qui espéraient le grand soir, il faudra attendre… En réalité, ce document [...] montre que le greenwashing risque fort de perdurer », a réagi sur LinkedIn Philippe Zaouati, directeur général de Mirova, société de gestion spécialisée dans la finance durable et filiale de Natixis.

Valentin Pernet, responsable de la durabilité chez Oddo BHF, parle, lui, d'une « décision qui sert uniquement à ripoliner la façade sans grand impact sur la gestion ». A moins qu'« un gestionnaire souhaite faire labelliser un fonds focalisé sur les Etats-Unis ou les pays émergents, seules zones vraiment exposées au charbon ou gaz/pétrole non conventionnels », ajoute-t-il.

Ces nouvelles orientations ne devraient donc pas avoir d'impact majeur sur le stock des fonds déjà certifiés ISR, selon un professionnel de la finance verte. En clair, les 1.000 fonds des 170 sociétés de gestion actuellement labellisés, qui représentent un encours total de 650 milliards d'euros, devraient le rester.

Qu'attendaient concrètement les acteurs de la finance durable ? D'abord, que le comité définisse clairement des seuils d'exclusion à la fois exigeants et pertinents. Pour l'instant, la présidente du label a indiqué que l'exclusion pourrait être fondée sur un pourcentage maximum du chiffre d'affaires. Ensuite, « faire une distinction entre les énergies conventionnelles et non conventionnelles ne fait plus sens, car l'impact sur les enjeux environnementaux et sociaux est presque identique dans un cas comme dans l'autre », ajoute Olivia Blanchard.

Risque de financer l'aggravation de la crise climatique

Reclaim Finance estime que « les fonds dotés du label ISR risquent de continuer à financer l'aggravation de la crise climatique ». Le plus gros défaut du label, selon l'ONG ? « Ne pas prévoir l'exclusion des entreprises qui continuent de développer des projets strictement incompatibles avec les objectifs climatiques français et internationaux. » C'est le cas notamment des nouveaux champs pétroliers et gaziers, « reconnus par l'Agence internationale de l'énergie comme n'ayant pas leur place dans un scénario permettant d'atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050 suivant une trajectoire 1,5 °C ».

L'exclusion de certaines énergies fossiles ne touchera pas TotalEnergies, société emblématique du CAC 40 dont 19 % des fonds actions labellisés sont actionnaires, selon une étude de la fintech Epsor. Or, selon Reclaim Finance, « il s'agit pourtant de la première entreprise européenne et la septième entreprise internationale à prévoir le plus de nouveaux champs pétroliers et gaziers ».

Certains investisseurs voudraient que le comité du label ISR s'inspire du label belge qui s'est imposé un peu partout en Europe. Ce dernier est plus restrictif et a recours à des indicateurs jugés pertinents dans les choix d'exclusion de certaines activités (capitaux investis et pas seulement chiffre d'affaires). Une consultation est ouverte jusqu'au 9 septembre pour recueillir les propositions de la profession.