Les nouveaux paradigmes de la gestion de patrimoine

« Tout est changement, non pour ne plus être mais pour devenir ce qui n’est pas encore », enseignait déjà Épictète. Sauf que la vitesse des évolutions devient exponentielle et que les darwiniens patrimoniaux que nous sommes chaque jour sur le métier doivent remettre leur ouvrage pour constater une accélération quantique. Le conseil patrimonial n’échappe pas à ce constat et à cette ardente obligation d’« aggiornamento », qui appelle à un besoin d’innovation. Mais pour innover, il faut anticiper, et pour anticiper, il faut comprendre quelles sont les grandes tendances sociétales qui vont disrupter la gestion de patrimoine. Par quoi commencer ? Peut-être par relire Sénèque (« si tu ne sais pas vers quel port tu mets les voiles, aucun vent ne te sera favorable »), et surtout par qui ? Évidemment, par le client, que d’aucuns pensent remettre au centre d’une relation qu’il n’aurait jamais dû quitter, mais surtout parce que ce client est passé du simple consommateur passif au client « conso-acteur » exigeant, puis désormais à « l’épargnant acteur » car surinformé, et même à « l’épargnant zappeur » pour les plus « augmentés » d’entre eux qui sont en attente permanente de nouveaux produits et services.

Quels sont alors les nouveaux paradigmes qui doivent guider les comportements en matière de conseil patrimonial ?

Certes, l’effet de surprise conjoncturel de la pandémie et la vitrification de l’économie engendrée par le confinement ont modifié la donne, notamment en termes de nécessaire digitalisation.

Mais plus structurellement, l’inéluctable vieillissement de la population et une génération millénium avide d’une gestion active de son patrimoine imposent une réflexologie patrimoniale à repenser à la fois dans l’approche juridico-patrimoniale, mais aussi dans la relation client.

PROLÉGOMÈNES : LA NOUVELLE RÉFLEXOLOGIE PATRIMONIALE

Fait unique dans l’histoire démographique de l’humanité : cinq générations peuvent coexister, entraînant de nouvelles réflexions sur les solidarités intergénérationnelles et sur les conseils à prodiguer pour gérer dans la durée les consensus et les dissensus familiaux. En effet, parents et grands-parents se trouvent confrontés à des héritiers moins nombreux et souvent éloignés, mais surtout moins disposés à se sacrifier financièrement pour leurs aînés. S’il est vrai que les gestionnaires de patrimoine ont un focus acéré sur l’optimisation d’une trans- mission avec un prisme d’étude aval (les héritiers), il nous a paru intéressant de nous intéresser à l’amont (les silver donateurs).

En effet, pour garantir l’adéquation et la viabilité des régimes de retraite, nous devons ainsi évaluer de façon critique la manière dont ceux-ci permettent de faire face au vieillissement rapide de la population (pas toujours en bonne santé) et, donc, pouvoir gérer la désépargne de nos clients avec des horizons de placement bien plus lointains.

On hérite aujourd’hui à l’âge où on mourait au début du siècle dernier. En matière juridique et fiscale, il faut ainsi anticiper la réversibilité des schémas (donation temporaire, donation à terme, revue régulière des clauses bénéficiaires...) ou leur sécurisation (parents associés gérants des sociétés familiales pour les contrôler sans risquer d’en être écartés...) et ce, sans oublier deux cariatides dans le paysage du droit fiscal français :

  • le vibrionisme législatif qui fait que chaque contribuable ne doit pas ignorer la loi... à venir ;
  • le permanent concours Lépine de la création des nouveaux impôts dans le pays où ils poussent le mieux et qui nuisent à la visibilité sur le long terme des stratégies à cause des « symptômes d’impôt condrie ».

Ainsi, arriver à donner maintenant mais en se dépouillant plus tard devient la quadrature sémantique du conseiller patrimonial avisé qui doit revisiter le champ des possibles en matière de donation. Bercy réfléchit aux abattements et au rappel fiscal pour fluidifier les transmissions et aider les jeunes générations, mais pour l’instant le risque est plutôt la thrombose.

Un autre paradigme à prendre en considération mérite l’attention : l’inévitable cygne noir de Taleb, illustré cette fois-ci par la pandémie de Covid, s’inscrit désormais dans la répétition pour un bel oxymore de l’exceptionnel/ récurrent et a redonné une place de choix à la prévoyance, notamment à travers les contrats dépendance et à l’assurance homme clé.

Enfin, en matière de placement financier, il convient toujours d’éduquer pour démontrer cette réalité durable que, nonobstant l’addiction aux fonds garantis de nombreux clients européens (Français, Italiens...), le triangle d’or du fonds euro (disponibilité, rendement, capital garanti) a vécu.

À moyen terme, l’iconique fonds euro devient une source d’appauvrissement par l’effet de noria appliqué au monde financier qui fait que les anciennes obligations d’État rémunératrices sont remplacées par les nouvelles qui ne rapportent plus. Gérer cette épargne de proximité et ce surplus d’épargne estimé à 142 milliards d’euros en y associant du fonds euro et des livrets réglementés, mais en souhaitant en faire une épargne long terme pour préparer l’avenir, revient à faire sienne cette conclusion : appauvris-toi si tu veux, et ça au moins c’est garanti.

Nous noterons que la première génération qualifiée de mondiale, que sont les milléniums, transcende les frontières malgré les différences culturelles, d’où le poids grandissant de la gestion de patrimoine internationale. Si les jeunes n’ont pas voté aux élections françaises, ils sont en revanche 67 % à envisager un départ professionnel à l’étranger et le hub financier luxembourgeois trouve alors tout son lustre.

Face à ces tendances sociétales, il convient d’ajuster la gestion patrimoniale afin de maîtriser la désépargne de nos clients, les sécuriser et anticiper les chemins de vie longue avec la réversibilité des schémas proposés. Cet ajustement conduit à l’émergence d’un renouveau dans l’approche juridico-patrimoniale. Ce changement de paradigme est d’autant plus important dans un contexte marqué par la redéfinition de la relation client.

RENOUVELER L’APPROCHE JURIDICO-PATRIMONIALE

Au vu de ces constats, la martingale ne devient-elle pas la complémentarité entre les produits de couverture offerts par la prévoyance et les stratégies basées sur la réversibilité des choix et la sécurisation qui préservent le futur ?

A. - Les produits prévoyance dans la panoplie patrimoniale

Le coût de la dépendance et la disparition brutale de chefs d’entreprises ou de collaborateurs clés pendant la période Covid ont remis en exergue la place privilégiée de la prévoyance trop souvent considérée comme le parent pauvre de la gestion de patrimoine.

En effet, l’incertitude sanitaire contextuelle peut inciter à l’inaction en termes de stratégie de transmission et, dans ce cas, l’alternative du conseil est alors une réponse à travers les produits de couverture pour assurer la pérennité d’une entreprise et gérer l’oxymore d’une meilleure autonomie à la situation de dépendance.

Le conseiller doit alors faire prévaloir la précrastination possible avec une souscription immédiate de produits d’assurance sur une procrastination aléatoire si le client est trop résistant à une réflexion holistique de sa situation.

1° Le contrat homme (femme) clé pour ouvrir la porte du chef d’entreprise

L’enjeu est de pallier les conséquences financières des aléas liés à la vie humaine, certes, mais d’aucuns résistent à ce type de produits au motif qu’il s’agit de versements à fonds perdus si le risque ne se réalise pas.

Mais chaque chef d’entreprise devrait faire sien l’adage latin « Tarde venientibus ossa » : si tu n’es pas prévoyant, il ne te restera que les os. Les os ou le squelette de l’entreprise, car chaque année une entreprise sur six fait faillite à la suite du décès de son dirigeant, et une sur trois se retrouve en cessation d’activité après la disparition imprévisible d’un collaborateur essentiel. Les exemples ne manquent pas (Poilane, Loiseau, et plus récemment Dassault, etc.).

Or, la solution existe : c’est la garantie homme (ou femme) clé qui s’inscrit dans une stratégie de protection de l’entreprise.

Cette garantie prévoit le versement d’indemnités journalières ou d’un capital à l’entreprise pour faire face à la disparition suite à invalidité ou décès, voire une longue maladie. Cette prestation permet donc de disposer d’une trésorerie pour faire face aux engagements financiers ou faciliter la réorganisation de l’entreprise.

Fiscalement, les cotisations sont déductibles au titre des charges d’exploitation, ce qui minore le coût de l’assurance avec certes, en contrepartie, l’imposition en profit imposable dans les résultats de l’exercice en cours de la perception (avec néanmoins un étalement sur 5 ans possible). Nous n’évoquerons pas ici les variants fiscaux de l’homme clé avec le contrat utilisé en tant qu’outil de garantie d’un prêt bancaire avec comme bénéficiaire la banque en garantie.

De même, l’option croisée associés de la garantie permet à un associé dirigeant ou un groupe d’associés de racheter les parts d’un autre associé décédé et ce, pour éviter des sujets successoraux avec les héritiers et préserver l’intuitu personae.

Ainsi, concrètement, après avoir évalué la valeur des participations détenues par chacun, un associé souscrit un contrat à son profit sur la tête du ou des autres actionnaires ou associés. Il en résulte qu’en cas de décès, le capital versé permet de racheter les parts aux ayants droit, ce qui favorise une meilleure fluidité organisationnelle de la situation pour éviter un risque de paralysie d’autant plus important lorsqu’il s’agit de professions réglementées (études de notaires, cabinets d’avocats, etc.).

Certes, le droit des sociétés est aussi une source créatrice en matière de statuts pour anticiper une disparition, mais la prévoyance présente l’intérêt de l’effet conjugué de l’immédiateté et de la simplicité.

2° Le contrat dépendance pour mieux assurer... l’autonomie

En théorie, c’est la solution idéale pour affronter le risque de perte d’autonomie quand le patrimoine n’est pas à la hauteur du risque ou lorsqu’on souhaite le préserver pour ses héritiers.

L’assurance dépendance permet en effet en principe de recevoir une rente, d’un montant défini à l’avance, si l’assuré devient dépendant et ce, jusqu’à la fin de sa vie. Et pourtant, si les versements à fonds perdus sont parfaitement admis pour les risques habitation ou voiture (certes avec une obligation d’assurance), ils constituent en revanche un frein considérable pour la souscription d’assurances dépendance.

Or, dans une approche similaire à la pure assurance décès, les cotisations sont relativement faibles par rapport aux montants garantis. À 60 ans, il faut compter entre 35 et 80 euros mensuels selon les garanties de dépendance totale ou partielle et le montant de la rente souhaitée.

En effet, si la personne décède sans avoir subi de perte d’autonomie, ses héritiers ne récupèrent rien, mais ces mêmes héritiers sont de plus en plus confrontés au choix de Sophie patrimonial, entre les études aux États-Unis pour l’étudiante brillante et la maison de retraite médicalisée pour la grand-mère atteinte d’Alzheimer. La méfiance devient prudence et les assureurs ne sont donc pas restés inactifs.

Pour répondre à ces critiques et tenter d’harmoniser une offre hétéroclite, la Fédération française des sociétés d’assurances (FFSA) a lancé en 2013 un label « GAD Assurance-Dépendance » afin d’offrir des garanties plus compréhensibles et de donner une définition commune de la dépendance lourde. Les contrats qui revendiquent ce label s’engagent à retenir cinq critères (transferts, déplacements, toilette, habillage, alimentation) pour exprimer leurs garanties. Une décision de bon sens, car certains contrats prévoient, en plus de la rente, d’autres prestations : versement d’un capital de quelques milliers d’euros pour équiper le logement, services d’assistance pour alléger le fardeau des aidants, aide pour leur payer un remplaçant...

Avant de s’engager dans un contrat, il faut savoir que les cotisations devront être payées à vie, et qu’elles peuvent augmenter en cours de route, et ce sans limite (même si certains assureurs ont fixé des plafonds annuels).

3° Qui convaincre du bien-fondé de la prévoyance ?

Il est toujours compliqué de proposer à un client vieillissant mais en bonne santé un contrat dépendance... qui porte d’ailleurs mal son nom si l’on s’en tient à un prisme marketing/communication. On devrait plutôt parler de contrat autonomie, plus vendeur et rassurant.

Mais le débat sémantique s’efface vite vu le coût des maisons de retraite, l’allongement de l’espérance de vie et l’obligation alimentaire entre enfants et parents. Les héritiers sont de plus en plus sensibles à cette problématique et hésitent moins à payer les cotisations en lieu et place de leurs parents plus réticents.

Et si le contrat dépendance ne sied pas pour des raisons psychologiques, les contrats classiques invalidité et décès restent toujours disponibles pour sécuriser ce que personne ne maîtrise : son propre avenir d’humain, sauf peut-être les adeptes du transhumanisme... qui croient à l’immortalité.

En fait, l’approche prévoyance, du fait des sujets sensibles qu’elle aborde, doit être très humaine et elle est donc soluble dans la connaissance holistique du client qui caractérise le gestionnaire de patrimoine. Mais la valeur ajoutée de ce dernier se mesure aussi à l’aune des capacités d’anticipation des situations difficiles et des conseils en conséquence.

En sus des produits, il existe les stratégies patrimoniales de transmission, mais avec un prisme devant aujourd’hui être revisité à l’aune de ce vieillissement de la population et de la cohabitation multigénérationnelle (baby-boomers, générations Y et Z).

B. - Les stratégies de réversibilité comme réponses à l’incertitude du futur

Il convient alors de repenser les donations et changer d’adage car, désormais, donner et retenir vaut... peut-être la réflexion.

En effet, la dernière étude du 5 mai 2021 de l’INSEE relative aux donations est claire : la première donation est reçue plus tardivement par des donataires plus âgés (80 % ont plus de 40 ans) et les ménages donnent à un âge plus avancé (65 % ont plus de 70 ans). Cela s’explique aisément par la tentation de conserver son patrimoine le plus longtemps possible pour faire face à des besoins futurs.

Car les donations pures et simples en pleine propriété supposent une générosité assumée et assurée supposant que le donateur en a les moyens. Elles se raréfient aujourd’hui. Mais si la solidarité est moins efficace que par le passé, pour autant les solutions ne manquent pas pour concilier la peur du manque et l’esprit de générosité de transmission. Pouvoir donner sans figer devient le nouveau Graal patrimonial.

1° De la donation démembrée à la donation atypique : le sur-mesure générationnel patrimonial

Nous ne nous attarderons pas sur ce que l’on peut considérer comme les donations les plus répandues pour préserver la réversibilité et la non-dépossession totale du donateur.

Deux donations illustrent bien ce mécanisme : la donation avec réserve d’usufruit et la donation temporaire d’usufruit.

Dans les deux cas, la donation n’est pas totale et la dépossession est limitée dans le temps soit avec un terme fixe, soit jusqu’au décès.

En termes de taxation, les spécialistes connaissent bien les deux articles 669-1 et 2 du CGI par application de barèmes respectivement tenant compte de l’âge, puis forfaitaire (23 % de la valeur du bien par période de 10 ans).

À cet égard, on observe justement une sophistication des clauses dans les donations avec réserve d’usufruit. En effet, concernant les biens immobiliers, l’usufruitier peut se retrouver dans une situation de précarité avec des ressources insuffisantes pour gérer le bien (travaux nécessaires, adaptation du logement...) ; il pourrait alors être judicieux d’anticiper une répartition contractuelle des prises en charge des grosses réparations amendant l’article 606 du Code civil, car il n’est pas d’ordre public.

On peut inclure dans cette typologie de donations classiques la donation avec charges et, par exemple, une obligation de soins par le donataire. Cette charge en nature parfaitement licite pourra d’ailleurs se transformer en rente viagère si le donataire est dans l’incapacité de soigner le donateur.

Mais, dans notre quête de la recherche du non définitif maîtrisé, il convient de passer du prêt-à-porter au sur- mesure avec notamment les donations à terme et leurs variantes : les donations alternatives ou facultatives.

En fait, ce que l’article 894 du Code civil interdit, c’est la donation de biens à venir mais pas les donations à terme de biens présents.

2° La donation à terme pour maîtriser la courbe temporelle de la dépossession

Cette donation, qui peut porter sur tous types de bien meubles ou immeubles, présente l’intérêt majeur de permettre au donateur de conserver la maîtrise du bien jusqu’au terme stipulé par la donation. Ainsi, dès la donation, le donataire est créancier d’une obligation de dare (donner) dont seule l’exécution est différée : la donation donne donc lieu à un droit actuel et irrévocable. L’avantage est que le transfert définitif de propriété aura lieu à la date prévue par la donation (terme fixe ou indéterminé comme le décès du donateur ou l’âge du donataire, ou encore l’achat d’une résidence principale...).

Attention, car la stipulation d’un terme n’est pas antinomique avec un dessaisissement présent n’empêchant donc pas la perception immédiate des droits de mutation à titre gratuit.

3° Les donations alternatives ou facultatives : variantes de la donation à terme

On peut aussi sophistiquer la donation à terme en comprenant que le donateur ne soit pas fixé sur le produit qu’il souhaite donner. Dans ce cas, les donations alternatives ou facultatives trouvent leur place. Il s’agit là de donations optionnelles par lesquelles le donateur donne soit une valeur, soit un bien dont il se libère à l’arrivée du terme, soit en substituant un autre bien qu’il aura jugé plus adapté à sa situation au moment de l’option. L’intérêt pratique est évident : le donateur organise la transmission de son patrimoine tout en s’accordant un délai de réflexion avec une option et, dans ce cas, l’indétermination du disposant quant à la répartition de ses biens n’est pas un frein à une stratégie d’anticipation successorale.

Le choix est repoussé au bon gré du donateur qui, pendant le délai d’option, peut même choisir de vendre un des biens compris dans l’alternative. On peut notamment penser à un chef d’entreprise dont l’un des enfants est indécis quant à la volonté (voire la capacité) de lui succéder. Dans ce cas, la donation alternative permet de ne pas retarder le processus de transmission en prévoyant par exemple l’attribution d’un autre bien (immobilier, par exemple).

L’imposition immédiate selon la valeur actuelle des biens permet de faire courir le délai de non-rappel des donations et faire prendre fiscalement date.

Par exemple, s’agissant de la donation facultative, une personne qui possède des immeubles de rapport et des oeuvres d’art pourra parfaitement, en cas de perte d’autonomie, substituer aux immeubles l’équivalent de leur valeur en tableaux pour conserver les loyers produits par les immeubles permettant de payer une maison de retraite médicalisée.

Précisions :

  • en cas de donation alternative, la valeur des biens doit être identique et la perte fortuite de l’un des deux objets ne libère pas le donateur, qui reste tenu de délivrer l’autre ;
  • fiscalement, en cas de donation alternative, les droits sont liquidés sur la base de la valeur de la chose donnant lieu à la taxation la moins élevée et les variations de valeur entre le jour de la donation et le jour de l’option n’auront pas d’incidence si c’est le bien initialement taxé qui est in fine délivré (des suppléments d’impôts peuvent en revanche être dus si des droits ont été calculés sur un bien partiellement ou totalement exonéré qui n’est pas la chose délivrée au moment de l’option).

4° Les donations « sandwich » pour retour à mauvaise fortune

Ce sont les donations que l’on goûte entre donateurs et donataires avec une capacité d’enfermer ab initio l’objet de la donation dans une optique de retour. Il convient en effet de permettre, avec l’accord du donataire, la résolution de la donation en cas de situation de dépendance du donateur. Il s’agit là d’une libéralité nouvelle avec une donation en sens inverse de l’initiale 6.

Mais le fait intéressant, c’est qu’il n’y a pas lieu de faire rapport de la donation originaire à la succession des donateurs si l’objet de la donation est le même.

Évidemment, la constitution de sociétés civiles avec les parents gérants et des clauses adaptées pour sécuriser leur pérennité du pouvoir pourra venir en complément de ces donations aménagées, mais cet article n’a pas vocation à tout couvrir tant le champ des possibles est grand dans la créativité patrimoniale.

On peut donc conclure que le conseil d’un notaire éclairé permettra avec efficience de répondre au souci de concilier la tradition familiale de transfert avec celui de conserver une forme de maîtrise qu’imposent les conséquences de l’allongement de l’espérance de vie, parfois synonymes de précarité économique.

Cet effort de conciliation entre présent et futur trouve également toute sa place au sein du nouveau paradigme de la relation client.

LE NOUVEAU PARADIGME DE LA RELATION CLIENT : VERS LE CLIENT PARTENAIRE

La crise sanitaire a bouleversé le monde à plusieurs niveaux et la nouvelle relation de partenaire versus client reflète l’ancrage de ce bouleversement. En effet, le client est désormais « augmenté », a de plus en plus d’exigences, à la fois à l’égard des modes de souscription de son épargne, appelant à accroître la digitalisation tout en la sécurisant, et à l’égard du choix de l’épargne et du sens qu’elle véhicule.

A. - Digitaliser pour mieux humaniser la relation client... mais aussi la sécuriser

La Covid fut un accélérateur et même, pour certains, un catalyseur pour implémenter de la digitalisation dans les circuits de distribution. Or, petit clin d’oeil aux brexiteurs, je prends Shakespeare à témoin : 2021 sera l’année d’« être ou ne pas être digital ».

Mais, au-delà des outils et du ressenti positif souhaité de l’expérience client qui trouve sa vie simplifiée, c’est une culture digitale qui doit irriguer l’entreprise, car on ne naît pas digital dans les compagnies d’assurances ou dans les banques... on le devient. L’enjeu de la transformation numérique est de passer d’un modèle centré sur le produit à une stratégie centrée sur le client. Le « phygital » est le néologisme approprié pour associer proximité et fluidité, mais l’intime des relations, qui est une des racines de la gestion de patrimoine pour les clients fortunés, se conjugue difficilement avec une visioconférence via Teams.

Les conseils ne doivent pas négliger le quotient émotionnel en retrouvant du lien humain avec son illustration au fronton du temple patrimonial « qu’il n’est de richesses que d’hommes » (Jean Bodin). Hommes au sens générique et sans catégories d’âges, car le digital n’est plus un sujet générationnel réservé aux milléniums. La « silver economy » des seniors se l’est approprié par nécessité et sans geste barrière.

Attention, néanmoins, que le « safe care » client coïncide bien avec le « take care » assureur, banquier et autres intermédiaires, car les considérations de conformité réglementaire et fiscale doivent intégrer les exigences de réactivité et de traçabilité dématérialisée : la pédagogie sera un allié précieux dans cette quête commerciale sélective du sans contact et du sans papier.

Nous sommes tous en effet confrontés à un temps disponible client de plus en plus réduit.

Ainsi, dans ce contexte de digitalisation accrue où l’ère du numérique compose l’air du nouveau monde, les entreprises se doivent d’adopter des solutions digitalement plus agiles.

Cette transformation disruptive que nous vivons repose sur des leviers techniques importants, synthétisés notamment à travers l’acronyme SMAC : social, mobile, analytics et cloud. La question clé qui ouvre le questionnement est de savoir comment concilier les besoins croissants de fluidité pour les clients avec, notamment, le risque accru de cyberattaque, devenu premier risque auquel les acteurs financiers sont confrontés. La digitalisation est certes porteuse d’opportunités, mais elle représente aussi un danger prégnant aussi bien pour le client que pour l’écosystème financier. La croissance exponentielle des données récoltées crée une menace stratégique et opérationnelle pour les entreprises. Compte tenu de l’ampleur de ces risques, il devient légitime de se demander si le digital n’incarne pas un vrai risque viral ; et il convient alors d’explorer les multiples enjeux pour les acteurs de la finance : tel Janus, le digital a sa double face.

1° Le digital : le nouveau risque viral ?

Avec l’approche Digital First et les exigences des « Know Your custumer rules », le client confie des données massives et sensibles, ayant trait notamment à sa santé, son patrimoine, ses données personnelles. La collecte, le traitement, l’analyse, le stockage et le partage de ces données constituent désormais une menace majeure pour les entreprises qui courent un risque réputationnel et commercial en cas de défaut. Ce risque est d’autant plus important pour les acteurs de l’écosystème financier présents au Luxembourg, où le secret professionnel est ancré dans la loi luxembourgeoise et où son non-respect donne lieu à l’engagement de la responsabilité pénale. Au-delà des risques impactant les données personnelles des clients, la transformation digitale génère des problématiques de sécurité juridique et informatique des flux, de maîtrise de la dématérialisation à travers les process de signatures électroniques (niveau 1, 2, ou 3) que les directions legal et compliance challengent, de relations avec parfois des prestataires transfrontaliers allant donc bien au-delà du champ GDPR. D’ailleurs, récemment, on a observé la multiplication des jurisprudences fiscales sur les problématiques d’établissement stable visant l’économie numérique. En effet, le sujet de la localisation des serveurs et des personnes dans ce monde orwellien, de surcroît exacerbé par l’effet Covid, aiguise l’appétit des États et de leurs administrations régaliennes pour engranger des recettes... et il n’y a pas que les GAFA qui sont concernés.

Dans une chaîne de plus en plus longue d’intervenants entre les clients et l’assureur (avocats, family offices, courtiers, agrégateurs, banquiers...), un maillon faible digital peut contaminer l’ensemble, ce qui impose à chacun une vigilance renforcée sur la qualité des partenaires quant à leur propre sécurisation. Se dessine ici une forme de solidarité de fait dont la moindre défaillance engage alors un risque réputationnel pour l’ensemble de la chaîne, dont on sait qu’il peut être dévastateur pour la confiance.

Avec les nombreux enjeux qu’elle induit, la transformation digitale doit être accompagnée par la nécessaire sécurisation des clients. La mise en oeuvre du processus de « Digital First » appelle l’émergence de processus de « Sécurisation first ». Ce sont les jumeaux d’une même trajectoire de satisfaction et de protection des clients.

2° La nécessaire sécurisation de la digitalisation

La transformation digitale appelle les entreprises à arbitrer entre leurs besoins et la technologie coûteuse qui devient rapidement obsolète et les textes de loi qui n’ont pas pris suffisamment en compte les défis évolutifs du numérique dans notre environnement très réglementé. Certes, la disruption digitale de facilitation des contacts consolide le rapport de confiance entre l’entreprise et le client hyperconnecté, mais elle pousse à répondre aux besoins d’une génération nouvelle de clients « digital native », qui souhaitent surtout être rassurés sur l’usage de leurs données. Le rôle protecteur de l’entreprise devient donc essentiel pour assurer la sécurité informatique, la protection des données professionnelles personnelles et de la vie privée, en sus de la protection des patrimoines. Nous voyons émerger des labels ISR, ESG... mais nous verrons de plus en plus de labels de sécurité des acteurs financiers. La sécurisation oblige aussi les entreprises à veiller davantage à la qualité de l’information qu’elles transmettent à leurs clients, et ce, eu égard à la rapidité de diffusion permise par les outils et, donc, au risque corrélatif augmenté d’erreur. Celle-ci doit être éclairée, transparente et pertinente, permettant d’avoir une visibilité sur les risques liés à l’investissement. Là encore, la crise Covid met en exergue les enjeux juridiques d’une quasi-vente à distance de produits d’assurance parfois difficilement conciliable avec les exigences de la gestion de patrimoine et de fortune et les obligations réglementaires et de contrôles (PRIPS, IDD, Disclosure...). La réussite de la révolution digitale se mesurera à l’aune du succès de l’évolution d’un état d’esprit d’un secteur financier qui doit adopter et adapter l’oxymore du jeune vieillard de Molière (le malade imaginaire), à savoir réussir à concilier ancien et nouveau monde.

Ainsi, dans cet élan de transformation, la sécurisation, pluridimensionnelle et polysémique, doit demeurer au coeur des processus de digitalisation de nos entreprises. Celle-ci sera le facteur différenciant de demain entre celles qui ne vont plus se démarquer uniquement par la transformation numérique, mais par la manière dont elles réussiront leur sécurisation face au danger viral du digital. C’est le duo gagnant pour la confiance des clients, et la confiance des clients pour une entreprise, c’est toujours la cariatide de sa croissance. Donner du sens aux placements en faisant grandir l’être et l’avoir des clients représente la dernière colonne qui supporte le temple patrimonial.

B. - La quête de sens : faire grandir l’être et l’avoir des clients

En notre qualité de maïeuticiens cherchant à comprendre les préoccupations de nos clients, donner du sens aux actifs gérés est passé de « nice to have » à « a must have », et d’une niche anticipée par certains à un chenil désormais plébiscité par tous. Les clients souhaitent que, comme dans leurs assiettes, le vert soit très présent dans leurs placements, n’hésitant pas à mettre un carton rouge aux acteurs qui ne suivent pas cette tendance. Il faut du tangible, d’où le succès du private equity avec un adage qui résonne bien chez les épargnants : des actifs propres pour les fonds propres des entreprises.

Nonobstant, la taxonomie nous entraîne dans une forêt d’acronymes (ESG, ISR, RSE...) que les décodeurs spécialistes du rating doivent expliciter pour en simplifier l’accès et la compréhension. Depuis que « durable » peut rimer avec « rentable », nul ne doute que toutes les générations actuellement touchées par ce virus planétaire auront à coeur de témoigner concrètement de leur attachement à la préservation de la planète et à la pensée solidaire sans devenir obligatoirement philanthropes.

Et le moral des financiers est au vert lorsque les sondages effectués sur les milléniums constatent qu’ils sont prêts à prendre plus de risques si les placements adoptent la stratégie 3 C: Climate, Care et Conduct : en clair, faire rimer « éthique » avec « stratégique » mais également « authentique », car la fidélité du client est au prix de l’authenticité des valeurs portées par son conseiller.

L’effet kiss cool de cette exigence de sens est la transparence, et elle est désormais drivée par un acronyme (encore un) : SFDR. En fait, l’objectif de la Commission européenne est clair : éviter le green washing pour dissuader de peindre en vert un produit qui n’en aurait pas la couleur ni la saveur. Ne nous y trompons pas : les clients et les régulateurs verront rouge en cas de publicité mensongère sur le vert. Cela influe évidemment sur toute la chaîne patrimoniale avec un effet domino dans la boucle patrimoniale : qui dit VERT dit transparence ; qui dit TRANSPARENCE dit information, notamment sur les FRAIS ; qui dit FRAIS dit valeur ajoutée facturable ; qui dit VALEUR AJOUTÉE facturable dit nécessaire DIGITALISATION des fonctions sans expertise, et qui dit digitalisation impose la SÉCURISATION.

En conclusion, on peut se nourrir d’exégèse sur le monde d’avant ou d’après, mais les paradigmes ont changé. Ne pas les comprendre et ne pas anticiper et innover pour accompagner les tendances de demain disqualifieront rapidement les acteurs. Oscar Wilde le résumait ainsi : « On a conscience avant, on prend conscience après ».

Toutes les professions de la gestion de patrimoine sont concernées et la chaîne de valeur n’aura jamais autant entremêlé les compétences pour un client de plus en plus « augmenté », exigeant sur la qualité de la prestation et ne supportant plus que le service se transforme en sévices administratifs dans le parcours de conseil.